Les leçons de la déconfiture de cette ancienne pharmaceutique-vedette
L’ex-coqueluche de la Bourse de Toronto, Concordia International(CXR, 0,16$), a finalisé une restructuration de son capital qui a pratiquement anéanti la participation des actionnaires existants. Ceux-ci se retrouvent désormais avec environ 0,35% des actions en circulation. Cette déconfiture est porteuse de leçons pour les investisseurs. (Re)lisez la chronique que Medici avait publiée dans Les Affaires en mai 2016: «Pourquoi nous n’investissons pas dans la pharmaceutique Concordia Healthcare.
La saga de la pharmaceutique Valeant a atteint un degré d’intensité inégalé au cours des dernières semaines. L’enquête de la Securities and Exchange Commission et le départ du pdg Michael Pearson ont poussé plusieurs investisseurs à se bousculer vers la sortie.
Si certains se retrouvent subitement avec un surplus d’encaisse, il sont nombreux à se demander si Concordia Healthcare (CXR, 32,29 $), une société chaudement recommandée par les analystes institutionnels, ne serait pas le meilleur instrument pour redéployer le capital libéré. Nous doutons fortement du bien-fondé d’une telle décision, et ce, pour plusieurs raisons.
La pratique d’ajuster les bénéfices comptables est très répandue parmi les sociétés pharmaceutiques. Avec Valeant à l’avant-plan, les dernières années ont mené à beaucoup de comptabilité créative peignant un portrait favorable de certaines sociétés du secteur. À notre avis, Concordia Healthcare ne fait pas exception.
L’indicateur clé que l’entreprise met en avant pour illustrer sa rentabilité est le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement, en plus d’ajustements arbitraires (BAIIA ajusté). Lorsqu’on gratte un peu sous la surface, on se rend compte que l’entreprise en profite pour exclure une multitude de dépenses d’exploitation. Ces exclusions comprennent entre autres les coûts d’inscription du titre au S&P/TSX et au Nasdaq, les coûts d’acquisition et de restructuration, la rémunération à base d’actions, le coût de réévaluation des stocks, les pertes découlant de ventes d’actifs et le changement de la juste valeur marchande des ententes d’approvisionnement.
Difficile de ne pas y perdre son latin étant donné toutes ces modifications !
Même s’il est compliqué de statuer sur la légitimité de ces bénéfices ajustés, nous remettons en question la pertinence d’exclure les charges d’intérêts et de ne pas ramener le BAIIA «par action». Dans le cas de Concordia Healthcare, l’entreprise a, depuis sa création, utilisé à profusion l’endettement et l’émission d’actions pour réaliser ses acquisitions.
En utilisant le BAIIA ajusté comme principal indicateur de performance, les investisseurs pourraient négliger le risque important que peut avoir sur leur investissement une hausse de l’endettement ou encore une dilution de l’avoir des actionnaires.
À notre avis, si une entreprise finance une acquisition avec de la dette, c’est la moindre des choses que d’inclure dans ses indicateurs le coût pour servir cette dette. Le BAIIA ajusté ne le comporte malheureusement pas.
Concordia Healthcare présente à son bilan une dette de plus de 3 milliards de dollars ; l’an dernier, elle a affiché des flux de trésorerie libres de 120 millions de dollars. En sachant qu’un peu plus de la moitié de sa dette est à taux variable et comprend des remboursements sur le capital dès 2016, on peut se demander si les dirigeants n’ont pas été trop téméraires relativement au recours à l’endettement.
En 2013, nous avions pris la peine de lire la notice annuelle publiée par Concordia Healthcare. Nous avions été surpris de constater à quel point les dirigeants illustraient précisément leur méthode pour augmenter le prix de leurs produits vedettes. Ces derniers alléguaient que les hausses de prix effectuées étaient plus importantes que la baisse de volume qui s’ensuivait.
Au net, il en résultait une augmentation du BAIIA ajusté. C’était là l’essentiel de son modèle d’entreprise. La plus récente notice annuelle ne fait essentiellement plus mention des fameuses majorations de prix. Les graphiques spécifiant le moment de chaque augmentation pour chacun des produits ont soudainement disparu. Cette réaction est vraisemblablement provoquée par la crise de Valeant.
Force est d’admettre que Concordia doit piloter un changement de stratégie important. La transition pourrait provoquer son lot d’erreurs d’exécution. En raison d’un endettement élevé, le niveau de risque financier encouru n’est pas négligeable.
Une insulte à l’actionnariat
Lorsqu’une entreprise s’allonge autant du côté de la dette, la source de motivation ne se trouve pas loin du plan de rémunération. Or, celui des dirigeants ne contient aucun objectif spécifique et quantifiable. Le comité de rémunération préfère distribuer les primes en se basant sur une appréciation générale de la performance de l’entreprise. Du moins, les critères ne sont pas publiquement et clairement énoncés, s’il y en a.
Au fil des ans, notre expérience a su nous démontrer que, lorsque plusieurs doutes crédibles s’accumulent au sujet d’une société, la meilleure chose à faire est de l’éviter.
Dans le cas de Concordia Healthcare, on ne peut pas déterminer sa rentabilité économique. De plus, sa stratégie d’affaires est appelée à changer significativement, et sa politique de rémunération constitue une insulte à l’actionnariat.
La société est actuellement à évaluer ses options dans le cadre d’un examen stratégique. Ce qui veut dire qu’elle cherche probablement à se vendre. L’investisseur discipliné ferait mieux de passer son chemin.