Trois changements nécessaires chez Berkshire Hathaway
L’ART D’INVESTIR. Peu d’entreprises ont une feuille de route à long terme aussi exemplaire et d’aussi grandes vertus défensives que Berkshire Hathaway (BRK.B, 209,89 $ US). Malgré ses nombreux atouts, dont une évaluation raisonnable, la société dirigée par Warren Buffett doit mieux nous convaincre de sa capacité à surmonter trois grands enjeux structurels.
Warren Buffett a sorti quelques lapins de son chapeau ces dernières années, le dernier étant l’achat d’une participation de plus de 78 milliards de dollars américains (G $ US) dans Apple (AAPL, 277,88 $ US). Cette décision s’est révélée fort rentable en 2019, le titre de la société ayant procuré un rendement total de 88 %.
Malgré quelques bons coups et la saine croissance des multiples entreprises exploitées par Berkshire, nous surveillerons de près la façon dont son dirigeant répondra aux enjeux suivants.
1. Donner une plus grande place à la relève
Le premier changement majeur qui s’impose chez Berkshire porte sur la relève. Il est grand temps que Warren Buffett délègue à ses lieutenants Tedd Weschler et Todd Combs la gestion d’une plus grande portion des capitaux de l’entreprise.
Warren Buffett gère encore la majeure partie du portefeuille d’actions évalué à 248 G $ US, laissant seulement 14 G $ US à chacun de ses bras droits. Todd Combs vient d’être nommé à la tête de l’assureur automobile Geico, une division phare de Berkshire, mais continuera de gérer les mêmes actifs qu’avant.
Compte tenu des responsabilités aussi restreintes accordées aux gestionnaires de la relève, il nous est impossible d’évaluer adéquatement leur talent. Or, il est impératif de savoir de quel bois se chaufferaient ces gestionnaires s’ils supervisaient un portefeuille aussi imposant que celui géré par Warren Buffett à 89 ans.
La réponse à la question posée à l’investisseur par Aaron Lanni, gestionnaire de portefeuille et associé de Medici, lors de la plus récente assemblée annuelle du conglomérat à Omaha, nous a laissés sur notre faim. Nous n’avons pas réussi à obtenir plus de détails quant aux résultats enregistrés par ses lieutenants, Warren Buffett ayant habilement dévié cette question cruciale.
2. Accepter des compromis pour les acquisitions
Le contexte dans lequel Berkshire évolue a changé. Warren Buffett doit réévaluer sa démarche s’il veut mieux rivaliser avec les fonds d’investissement (privés et publics) aux poches bien garnies pour les acquisitions d’entreprises de grande taille.
Restant fidèle à ses principes, le vénérable investisseur dit éviter de participer à des enchères lorsque des entreprises d’envergure inscrites en Bourse sont à vendre. Ces deux réalités entrent à notre avis en contradiction.
Afin de se conformer aux bonnes pratiques de gouvernance, les dirigeants des sociétés cotées ont l’obligation de chercher à obtenir le meilleur prix possible lorsqu’ils mettent leur entreprise en vente. D’emblée, Berkshire se trouve écartée de tels processus.
Warren Buffett laisse passer des occasions au profit de sociétés d’investissement privé. Celles-ci carburent à des taux d’emprunt très favorables et acceptent la plupart du temps de payer plus cher pour conclure une acquisition. Il n’y a malheureusement pas de solution simple à ce problème pour Warren Buffett.
Il est par ailleurs légitime de se demander si les entreprises qui nécessiteront un financement d’urgence en période de crise penseront d’abord à Berkshire Hathaway lorsque Warren Buffett n’en sera plus le dirigeant. Force est d’admettre que ses remplaçants ne bénéficieront pas de l’aura légendaire qui lui permet de finaliser des transactions majeures en quelques jours.
3. Racheter des actions de façon plus musclée
Le troisième grand défi à relever : déployer les abondantes liquidités que les entreprises du conglomérat dégagent. Warren Buffett peine à réinvestir les quelque 23 G $ US par année qui gonflent son trésor de guerre. Résultat, l’encaisse de Berkshire s’élève à 147 G $ US.
Le dirigeant souhaite préserver 20 G $ US afin de parer les importantes sociétés d’assurance de Berkshire à toute éventualité. À 127 G $ US, il dispose néanmoins de munitions suffisantes pour frapper un grand coup. Si les évaluations des cibles potentielles demeurent trop élevées à son goût, il est difficile de comprendre pourquoi Warren Buffett rachète si peu d’actions de son entreprise.
Warren Buffett a racheté pour 5 G $ US d’actions de Berkshire au cours de l’exercice 2019, soit un peu moins de 1 % des titres en circulation. L’action demeurant peu chère, nous souhaiterions voir des rachats nettement plus importants en 2020.
Pour reprendre une analogie sportive, Berkshire ressemble à une équipe possédant une extraordinaire défensive. Elle doit toutefois passer davantage à l’offensive. Warren Buffett ne réglera pas tous ces enjeux d’un coup, mais il peut certainement mettre au travail l’abondant capital dont il dispose.
Divulgation : les clients, les employés et les associés de Gestion de portefeuille stratégique Medici détiennent des actions de Berkshire Hathaway.
EXPERTS INVITÉS
Pierre-Olivier Langevin est gestionnaire de portefeuille et associé de Medici.
Yannick Clérouin conseiller de Medici.
Source: Trois changements nécessaires chez Berkshire Hathaway (Les Affaires)
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