Pot: mine d’or ou hallucination?
Même si l’usage de la marijuana à des fins récréatives sera permis à partir du 17 octobre, les actions «alléchantes» en lien avec le pot demeurent un pari très «risqué», estiment des gestionnaires de portefeuille.
Au cours de la dernière année, plusieurs sociétés canadiennes spécialisées dans la culture du cannabis à des fins médicales ont vu la valeur de leurs actions exploser de plus de 80 %.
Ce qui a attiré, sans surprise, l’attention de certains investisseurs.
Et depuis l’annonce officielle mercredi de la légalisation du cannabis, la poussée à la hausse s’est poursuivie. C’est entre autres le cas de Canopy Growth (Tor., WEED), du producteur Aurora Cannabis (Tor., ACB) et d’Aphria (Tor., APH).
Entre avril 2017 et juin 2018, l’action de Canopy Growth est passée sur le parquet torontois de 9,93 $ à 47,76 $, une hausse de 381 %. De quoi faire rougir ses compétiteurs.
Pour Aurora, les investisseurs ont vu la valeur de leur action bondir de 2,83 $ à 10,47 $, un gain de 270 %. Du côté d’Aphria, l’action de la société a grimpé durant la même période de 7,21 $ à 13,11 $ (82 %).
Ces trois titres figuraient d’ailleurs jeudi parmi les plus actifs sur le site de la Bourse de Toronto.
Pour Pierre-Olivier Langevin, gestionnaire de portefeuille chez Medici, l’investisseur doit faire preuve de prudence s’il songe à injecter des billets verts dans ce genre d’actions.
Plusieurs questions notamment au sujet de la chaîne de mise en marché demeurent toujours sans réponse.
C’est une industrie qui doit se définir. Les règles du jeu ne sont pas encore toutes établies. Pour les profits, est-ce que c’est le producteur qui va les ramasser, le distributeur ou le détaillant?, demande M. Langevin.
«Souvent, dans une industrie, il y a plusieurs intervenants et généralement il y en a un qui est plus performant dans la chaîne que les autres. Il réussit alors à ramasser la majorité des profits. Ce n’est pas nécessairement le producteur qui va avoir le loyer économique», poursuit-il.
L’expert concède tout de même que le rendement de la dernière année a été intéressant dans ce secteur. Il tient toutefois à rappeler que ce rendement est basé sur les prévisions de revenus que l’entreprise pourrait faire au cours des prochaines années. Et non sur sa valeur actuelle.
Dans le cas de Canopy Growth et Aurora Cannabis , leur valorisation boursière est de 8,3 milliards $ et 5,33 milliards $.
«C’est extrêmement spéculatif. C’est basé sur des prévisions. C’est pourquoi il faut être très prudent», ajoute M. Langevin, rappelant que les marchés peuvent bouger très vite.
Il donne comme exemple le cas de Facebook qui a vu au cours des derniers mois son action passer d’environ 185 $ à 152 $ avant de remonter à 202 $.
Selon une étude de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), le marché québécois du cannabis récréatif, sans le volet médical, est évalué à environ 1,3 milliard $. Au cours des dix ans suivant une légalisation, sa valeur pourrait grimper jusqu’à 3,2 milliards $.
«Gonflé à bloc»
Pour le cofondateur de la firme de conseils financiers Dubeau-Capital, il n’est pas question de recommander à un investisseur de mettre de l’argent dans ce genre de compagnies boursières.
«Premièrement, c’est immoral. Deuxièmement, c’est gonflé à bloc. On ne sait pas encore les cadres de juridictions. Comment les prix vont être fixés? C’est simplement de la spéculation», note Stéphane Dubeau, qui compte plus de 34 ans d’expérience en gestion de portefeuille.
Si une personne souhaite quand même s’aventurer par elle-même dans ce genre de placements, il suggère d’utiliser des fonds négociés en bourse comme Horizons Medical Marijuana Life Sciences ETF [HMMJ].
«Cela permet d’atténuer les risques et offre automatique une diversification du portefeuille», avance-t-il.
Entre avril 2017 et juin 2018, l’action de ce fonds, qui regroupe une quarantaine d’entreprises qui brassent principalement des affaires dans l’industrie de la marijuana, est passée de 10,89 $ à 20,30 $ (86 %).
«entre 5 % et 8 %»
Du côté de la firme Pratte gestion de portefeuilles, on suggère également aux investisseurs de se montrer prudent, du moins, pour le moment.
«C’est certain que c’est un marché qui va prendre de l’ampleur au cours des prochaines années. On ne peut pas le cacher, mais nous sommes encore à évaluer le revenu potentiel des sociétés. On ne se base pas sur des revenus concrets. Il y a encore un risque que les sociétés soient surévaluées», note Philippe Pratte, président, chef des investissements et gestionnaire chez Pratte gestion de portefeuilles.
Ce dernier conseille aux investisseurs de détenir au maximum «entre 5 % et 8 %» de ce type d’actions dans leur portefeuille. Il conseille également de miser sur les compagnies qui brassent déjà des affaires en lien avec le cannabis à des fins médicales.
Par ailleurs, jeudi, Hydropothicaire, qui sera le principal fournisseur de la Société québécoise du cannabis, a annoncé qu’il graduera vendredi à la Bourse de Toronto. La compagnie deviendra Hexo Corp. La société était déjà présente à la Bourse de croissance TSXV.
En fin de journée, son action a clôturé à 5,30 $, un bond de 6,64 %.
Joint par Le Soleil, plusieurs institutions financières comme Le Mouvement Desjardins ont confié ne pas avoir encore réalisé d’analyse sur le rendement des compagnies en lien avec la marijuana. La Banque Laurentienne a indiqué pour sa part ne pas donner de recommandations sur des titres spécifiques.
«C’est certain que c’est un marché qui va prendre de l’ampleur au cours des prochaines années, […] mais nous sommes encore à évaluer le revenu potentiel des sociétés. Il y a encore un risque»
JEAN-MICHEL GENOIS GAGNON
LE SOLEIL
22 juin 2018