Vu le succès phénoménal remporté par Netflix, il pourrait être tentant de se laisser séduire par une entreprise qui promet à son tour de révolutionner l’industrie du cinéma. Même si le scénario présenté par MoviePass est à première vue accrocheur, il lui manque un ingrédient essentiel pour devenir un véritable blockbuster en Bourse : l’intérêt de l’actionnaire.

Cinéma maison, Netflix, explosion du contenu en ligne… l’industrie du cinéma lutte pour maintenir sa croissance depuis deux décennies. Si on fait abstraction de la hausse des prix des billets, elle est même en déclin depuis plusieurs années. Afin de ramener les cinéphiles en salle, les propriétaires de cinémas doivent trouver une nouvelle formule gagnante.

L’entrée en scène de MoviePass ravive les espoirs. Ce service, propulsé par une application mobile, propose un abonnement mensuel qui permet de voir un film par jour. Neuf cinémas américains sur dix l’acceptent.

MoviePass été lancée en 2011 aux États-Unis, mais c’est depuis qu’elle a baissé son tarif à 9,95 $ par mois (tous les montants sont en dollars américains) en août dernier qu’elle a décollé. Le nombre d’abonnés est passé de 20 000 à plus de 3 millions en moins d’un an. Il pourrait atteindre 5 millions à la fin de l’année et tripler d’ici 2022, selon des observateurs.

Une croissance explosive de nature à inciter bien des investisseurs à faire des rapprochements avec Netflix. Pas sans raison. Un des principaux acteurs de ce concept, Mitch Lowe, a cofondé, en 1998, l’entreprise qui domine l’univers mondial du divertissement en ligne. MoviePass achète pour le compte de ses abonnés 6,1 % de tous les billets vendus annuellement au box-office américain. Malgré son ascension rapide et sa promesse de donner un nouveau souffle à l’industrie du cinéma, elle a selon nous de minces chances de connaître un succès durable.
Un modèle qui ne tient pas la route

Le service repose sur un modèle d’affaires qui ne tient pas la route dans sa forme actuelle. Si son offre est un rêve pour les amateurs du grand écran, c’est tout le contraire pour les actionnaires de Helios and Matheson Analytics (HMNY, 2,12$ US), qui financent sa croissance. Cette dernière, une entreprise spécialisée en intelligence artificielle et dans l’analyse de bases de données, est devenue actionnaire majoritaire de MoviePass en décembre dernier.

Ses dirigeants ont depuis multiplié les initiatives pour gonfler la masse critique d’utilisateurs de MoviePass. Leur pari : plus le service comptera de membres, plus grand sera son pouvoir auprès des salles de cinéma pour négocier des billets au rabais.

Pour l’heure, MoviePass débourse dans la majorité des cas le plein prix des billets aux Cineplex de ce monde. Une équation nettement déficitaire. Elle tire un revenu d’abonnement de 9,95 $ par mois, alors que les chaînes de cinéma comme Regal Entertainment facturent en moyenne 10,20 $ par représentation. MoviePass a même abaissé son tarif mensuel à 6,95 $ dans le cadre d’une récente offre promotionnelle.

Or, comme le membre moyen fréquente les salles 1,7 fois par mois, il en coûte mensuellement 17,40 $ par abonné à l’entreprise, sans compter les frais d’exploitation, les dépenses de marketing, etc. Résultat, Helios & Matheson a encaissé une perte d’exploitation de 108 M$ sur des revenus de 47 M$ au premier trimestre de 2018. Sa situation financière est par ailleurs fragile. Elle détient 42,5 M$ US d’encaisse et sa valeur boursière est d’à peine 48 M$, après avoir fondu de 97 % cette année.

Une course contre la montre

Les vérificateurs indépendants de l’entreprise et les médias ont beau avoir exprimé des doutes quant à sa viabilité, Helios & Matheson assure avoir les moyens financiers pour devenir la prochaine Uber ou Airbnb.

MoviePass est engagée dans une véritable course contre la montre. Au rythme où elle consomme des liquidités, elle est vulnérable à tout scénario imprévu, propre à son industrie, ou à un événement externe comme une récession.

La stratégie des dirigeants de grossir rapidement est loin d’être suffisante pour rentabiliser MoviePass. Le service devra compter sur d’autres sources de revenus. Dans sa mire : des recettes auprès des distributeurs de films et des salles de cinéma grâce à des publicités ciblées auprès des abonnés. Le service compte aussi sur des programmes de référencement auprès de commerçants.

Le cinéma type investit au plus 0,50 $ US de pub par billet vendu. Même si MoviePass obtenait la moitié de ce budget, elle n’épongerait pas ses pertes ainsi. Nous doutons aussi de la capacité des dirigeants de convaincre les grands studios d’Hollywood de partager leurs bénéfices. À notre avis, MoviePass ne réussira pas à rentabiliser ses activités sans altérer sa proposition de valeur d’offrir des forfaits mensuels illimités pour aussi peu que 7 $ à 10 $. Elle doit non seulement espérer que la lune de miel des nouveaux abonnés passe vite et qu’ils fréquentent un peu moins souvent les salles, mais aussi imposer des limites plus contraignantes.

Au moment d’écrire ces lignes, MoviePass a justement annoncé qu’elle allait imposer des surcharges en fonction de la demande pour un film ou des périodes de pointe. En plus du forfait mensuel à 10 $, les membres devront allonger entre 2 $ et 6 $ pour les longs métrages les plus populaires. Les abonnés pourront souscrire à un nouveau forfait pour éviter ces frais une fois par mois. Ces mesures risquent toutefois de miner sa croissance.

Un exemple de modèle gagnant

Contrairement à Netflix, qui a bonifié son offre en créant des contenus novateurs et populaires, MoviePass compte encore seulement sur le prix attrayant de son abonnement pour créer de la valeur. Elle ne bénéficie pas d’économies d’échelle, a un pouvoir de négociation limité et offre peu d’incitatifs à consommer d’autres produits sur sa plateforme.

MoviePass devrait s’inspirer de Costco Wholesale (COST, 214,00 $ US)* pour faire pivoter son modèle d’affaires. MoviePass encourt une perte chaque fois que ses clients consomment. Costco, elle, réalise des revenus d’adhésion avant même que ses membres aient commencé à magasiner. Cette formule lui assure non seulement des revenus récurrents, mais aussi une grande rentabilité, qui lui permet en retour d’offrir des bas prix en magasin. Un modèle vertueux qui crée de la valeur à la fois pour les clients et pour les actionnaires.

Il est très facile de créer de la valeur pour les clients avec une offre imbattable, mais nettement plus difficile d’en créer tout autant pour les actionnaires. Or, la direction d’Helios & Matheson doit garder en tête que les actionnaires sont un pilier tout aussi essentiel que les clients dans les fondations d’une entreprise à succès.

Par Pierre-Olivier Langevin, CFA associé et gestionnaire de portefeuille
, Gestion de Portefeuille Stratégique Medici et Yannick Clérouin, conseiller. Gestion de portefeuille stratégique Medici est une firme de gestion privée gérant les avoirs de plus de 400 familles québécoises. Les services d’investissement offerts par Medici sont axés sur la transparence, la responsabilité et des services hautement personnalisés. Les épargnants qui aimeraient en savoir davantage sur la firme sont invités à consulter la section Investir avec Medici. Les commentaires, analyses et opinions contenus dans ce document ne représentent en aucun cas une recommandation d’achat, de vente ou de conserver et ne devraient pas être interprétés ainsi. Gestion de Portefeuille Stratégique Medici (ci-appelé «Medici») se dégage de toute responsabilité quant à la mise à jour des informations présentées dans ce document. Toute reproduction sans le consentement explicite de Medici est strictement interdit.

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