Dans la plus récente édition du Financial Analyst Journal, un article intitulé «Quelle différence font les dividendes?»* souligne les avantages d’investir dans les titres à dividendes.

L’article cite une étude dont la conclusion est sans équivoque: «les entreprises qui versent des dividendes élevés sont moins risquées et génèrent un rendement supérieur aux titres qui n’en versent pas.»

Les auteurs de l’article vont même jusqu’à quantifier cet avantage à 1,5% de rendement supplémentaire par année en moyenne. Vu notre scepticisme face à l’affirmation selon laquelle les sociétés aux distributions généreuses s’avèrent de meilleurs placements, il devenait nécessaire de consulter l’étude.

Les analystes ont d’abord séparé un échantillon de près de 4000 entreprises en deux groupes: celles qui versent un dividende et celles qui n’en versent pas. Ils ont ensuite pris soin de mesurer les rendements mensuels de chaque groupe, de 1962 à 2014. Les auteurs de l’étude ont choisi d’éliminer du groupe d’entreprises versant des dividendes celles dont la distribution était jugée extrême. On parle d’un groupe de sociétés dont le dividende moyen était de 9,5 %.

L’hypothèse était que, puisque ces entreprises ont un dividende extrême, le marché escompte qu’elles sont en difficulté et qu’elles sont sur le point de péricliter.

L’exemple de Pages Jaunes et de Colabor

Nous considérons l’idée d’exclure les sociétés à dividendes extrêmes de l’étude comme un biais indu qui influence les résultats en faveur des titres à dividendes.

Dans les faits, il est rare qu’un investisseur obnubilé par de juteux dividendes ait la clairvoyance de séparer celles qui peuvent le soutenir de celles amorçant une décente aux enfers. Combien ont pu, par exemple, prévoir la déchéance du Groupe Pages Jaunes avant la crise financière, ou encore celle du Groupe Colabor en 2013? Même après plusieurs années, aucune de ces deux entreprises n’a su se relever.

Si retirer les titres à dividende extrême est approprié, pourquoi ne pas soustraire également les sociétés déficitaires du groupe ne versant pas de dividendes ? Dans leur rapport, les auteurs mentionnent que 23 % des sociétés ne versant pas de dividendes avaient un historique financier de moins de trois années.

À moins de ne pas savoir lire les états financiers, il est facile d’éviter d’investir dans les entreprises qui n’ont pas fait leurs preuves ou qui accumulent les pertes.

Pensons seulement aux penny stocks, aux sociétés de recherche en biotechnologie sans revenus ou aux sociétés d’exploration minière. En conservant ces entreprises dans l’échantillon, l’étude plombe les résultats d’un groupe où on retrouverait de nombreuses entreprises qui réinvestissent systématiquement leurs capitaux dans des activités très rentables.

Fausse perception du rique

Les auteurs de l’étude en rajoutent en mentionnant que les titres à dividendes sont beaucoup moins risqués. Il faut préciser qu’à défaut de connaître les risques fondamentaux qui sous-tendent chaque société de l’échantillon, les auteurs concluent que le risque correspond à la volatilité d’un titre.

À notre avis, la volatilité est un bien mauvais indicateur de risque. Sur cette base, même lorsqu’un titre s’apprécie de façon importante, un mathématicien le jugera risqué, puisque sa volatilité augmente. Pourtant, la volatilité donne peu d’informations sur la stratégie d’affaires d’une entreprise.

Elle n’offre pas d’information sur la diversification des activités ou des produits et services offerts. Elle ne dit rien sur la qualité du bilan de la société ou sur la portée de ses avantages concurrentiels.

Après avoir relu l’étude vantant le mérite des titres à dividendes, force est d’admettre qu’un habile statisticien peut faire dire à peu près ce qu’il veut aux chiffres. Nous voyons l’investissement comme une discipline dont la maîtrise est supérieure lorsqu’elle est agrémentée de vastes connaissances en entrepreneuriat plutôt que de connaissances en statistique.

Charlie Munger a déjà dit: «Pour celui qui n’a qu’un marteau, tous les problèmes ressemblent à des clous.» Un investisseur doué a tout le luxe de faire fi des études statistiques et d’évaluer, au cas par cas, le modèle d’affaires de chaque société qui suscite son intérêt.

Source de l’étude : «What Difference Do Dividends Make ?», Financial Analysts Journal, volume 72, numéro 6

Pierre-Olivier Langevin, CFA, gestionnaire de portefeuille et associé.

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